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L'avenir des langues minoritaires à l'heure de la mondialisation

Sur le continent africain seulement, un rapport de l’UNESCO établissait qu’on y parlait environ 30% de toutes les langues de la planète. Et sur ce nombre important, on y dénombre plus de 500 langues en danger. Il est vrai que le poids économique et culturel de certaines de ces langues (et de toute autre langue régionale qu’elle soit en Asie, en Europe, ou en Océanie) est englouti dans une nouvelle réalité qu’on appelle la mondialisation qui ajoute certains facteurs, tantôt positifs, tantôt  négatifs à la chance de survie de ces langues minoritaires.

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Dans un monde où la langue anglaise a un poids économique et culturel d’une ampleur énorme, on peut se demander quel est l’avenir de langues minoritaires dont le rayonnement culturel est peu important. Quand on pense aux nombreuses langues de Russie ou de Chine dont l’avenir a longtemps dépendu uniquement de la politique de leur gouvernement central, comment peut-on entrevoir de façon réaliste l’avenir de ces langues dont l’influence ne dépasse que rarement leur propre territoire?

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Les facteurs pouvant prévoir l’avenir linguistique de certaines régions du monde sont à la fois nombreux et complexes. Néanmoins certains de ces éléments sont prévisibles et quantifiables. Tout d’abord il est important de dissocier trois facteurs afin de mieux comprendre le futur de certaines langues minoritaires : tout d’abord, notons les facteurs liés à la mondialisation, ensuite les facteurs liés aux lois et aux politiques, et finalement les facteurs d’ordre personnel. C’est en répartissant ainsi qu’il est plus facile de comprendre l’avenir réel de certaines langues tout en établissant des pistes de solutions servant à favoriser le développement (du moins la survie) de certaines langues en danger.

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Cet article base son approche sur une réflexion concernant ces différents facteurs mis en perspective avec les nouvelles réalités engendrées par la mondialisation toujours de plus en plus grande.

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Facteurs mondiaux : l’impact de la mondialisation 

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L’avènement des moyens de communication et la rapidité avec laquelle une nouvelle fait le tour du monde sont des effets concrets et bien visibles de cette mondialisation. Les frontières disparaissent, des associations se créent, des amitiés se forgent entre régions du monde très éloignées. Internet est, à ce titre, un exemple évident d’outil permettant l’échange d’informations, d’idées et connaissances sur toute la planète. Avec ce nouveau moyen de communication, plus aucun territoire n’est complètement isolé . Dans la mesure où tous les deux possèdent ce nouveau moyen, un Bouriate peut échanger directement avec un Inuit du Grand Nord canadien. Dans ces circonstances, peu de choses échappent aux citoyens unis dans ce mouvement planétaire. Si bien souvent la langue d’échange est l’anglais, la réalité d’une Lingua Franca (langue d’échange au niveau mondial) est bien loin de l’enjeu réel de l’avenir des langues régionales. L’influence que prend la culture anglo-saxonne sur toute la planète est bien réelle mais ne saurait a elle seule favoriser le déclin de certaines langues régionales.

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Un autre facteur important lié à la mondialisation est l’intérêt soulevé par les échanges de plus en plus grands entre communautés des quatre coins du monde. Les moyens de communication actuels nous permettent réellement et concrètement d’échanger avec des cultures autrefois isolées.  Depuis l’avènement de ces échanges entre les régions autrefois inaccessibles, les minorités linguistiques sont moins isolées (et par conséquent, moins fragiles). Mais les choses changent et si la distance était un obstacle, la mondialisation permet actuellement aux gens des quatre coins du monde de s’intéresser à l’avenir de certaines langues en voie de disparition. Pensons aux associations de plus en plus nombreuses qui cherchent à tisser des liens entre les diverses minorités (linguistiques, culturelles, religieuses) du monde. Ces échanges favorisent le développement de politiques et de moyens concrets permettant à ces peuples de résister aux côtés plus sombres de cette nouvelle vague cherchant à uniformiser les cultures et les valeurs.

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Enfin, cette capacité que nous avons actuellement à être en contact avec les parties les plus éloignés du globe, a un impact énorme sur la prise de conscience des différents processus d’assimilation qui se produisent encore. La culture et la langue tibétaines sont sur ce point, un exemple éloquent de l’effet bénéfique. La situation qui prévaut en Chine en ce qui a trait à la culture tibétaine nous laisse présager le pire : assimilation, perte de l’identité, acculturation. Mais si ce côté sombre est clairement établi par les nombreux écrits et reportages qui sont effectués dans cette partie du monde, ils ont aussi l’effet de nouer des liens et des associations veulent promouvoir la culture en voie de disparition : des organismes voient le jour, des méthodes de langues tibétaines sont écrites, des recherches sont effectuées et contribuent ainsi à l’essor, au développement et au rayonnement d’une langue et d’une culture qui, sans ces nouveaux moyens de communication, serait sans contredit vouées à disparaître. Il est vrai que trop peu de langues minoritaires reçoivent l’intérêt mondial dans une ampleur aussi grande.

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Le mongol constitue un autre exemple de langue autrefois isolée mais gagnant aujourd’hui en popularité à force que les étrangers découvrent les charmes de cette région du monde. Cet engouement pour l’exotisme et la nouveauté se développe en grande partie grâce à l’ouverture de ces régions du monde, politiquement isolées les unes des autres pendant de nombreuses décennies. On pourra être impressionné par le nombre de méthodes et de grammaires mongoles qui ont été écrites en langues anglaise, russe et allemande. Cet engouement est d’autant plus présent que la culture et la langue mongole sont soutenues par un appareil politique : l’état mongol.

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Facteurs politiques

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La survie d’une langue minoritaire est proportionnelle à l’effort de l’appareil politique qui sert à la protéger et à favoriser son développement. Sans un organisme de « gestion » de la langue, toute langue minoritaire est vouée à disparaitre sous l’influence des langues voisines qui sont souvent celles où s’effectue le commerce et donc, dans lesquelles les jeunes voient une possibilité d’améliorer leur condition de vie. Cet appareil est primordial mais difficile à mettre en place pour les langues dont le nombre de locuteurs ne dépasse pas quelques centaines d’individus.

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C’est l’ampleur des politiques dont se dote un état à l’égard de ces minorités qui oriente en grande partie le développement des langues en danger. Mais le défi est grand pour les langues ne possédant aucune transcription écrite.  Dans ces circonstances, aucune loi sur l’affichage ou l’enseignement ne peut prendre racine dans la communauté. Le gouvernement régional devra donc prendre des moyens pour valoriser l’utilisation de la langue dans les institutions politiques de la région.

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La création d’un pays unilingue ne constitue pas pour autant le seul moyen qu’une langue survive et se développe. Les exemples de pays bilingues et plurilingues sont nombreux à travers le monde : pensons à la Belgique (français, flamand), aux nombreux pays africains, à l’Espagne (espagnol, catalan, basque, gallego) et au Canada (français et anglais). Le Québec, où la langue française est bien vivace grâce à sa célèbre loi 101 (loi donnant préséance à la langue française) ou encore la Catalogne en Espagne sont des exemples éloquents de l’impact de l’existence d’un appareil politique favorisant le développement d’une langue minoritaire dans un pays ayant une autre langue officielle.

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Facteurs personnels

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Le langage est avant tout un instrument de communication entre des individus partageant une même culture et une même réalité. La façon d’exprimer des idées, des concepts ou des actions est en lien direct avec le quotidien et l’environnement des locuteurs. Mais notre langue est aussi le terrain de notre émotivité. Pour tous les êtres humains, la langue maternelle est chargée de sens et d’émotion. Chaque mot, chaque phrase, chaque concept est enregistré avec une émotion et une langue seconde ne pourra être chargée du même sens que sa propre langue maternelle.

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La notion d’identité est un facteur personnel primordial nous laissant entrevoir les chances de survie d’une langue minoritaire. En effet, l’identité d’une nation s’organise toujours autour d’un pôle rassembleur (partage d’une religion, d’un même territoire ou d’une langue commune). Si une minorité ethnique n’a pas une identité dont la base de son unicité est la langue, les chances de survie de son héritage linguistique sont très faibles. La situation du français au Canada est un exemple intéressant où la langue est le facteur à la base de l’identité nationale. À l’intérieur du Canada même peu de Québécois (habitant de la partie française du Canada) se décriront comme Canadiens mais diront plutôt qu’ils sont soit « Québécois » (de la province de Québec) ou « Canadiens français ». Dans ce cas, la langue est au fondement de la notion identitaire et la survie et le développement du français au Canada sont assurés par ce sentiment très fort. Mais dans certaines régions du monde, lorsque la langue d’une minorité linguistique n’est plus perçue comme étant le facteur déterminant de leur identité, il y a alors un danger réel de perte de la langue. C’est ce qui s’est produit pour des pays où l’effort du gouvernement à créer une identité uniquement liée au territoire (tu vis en Chine donc tu es Chinois; tu vis en Russie donc tu es Russe, tu vis en Yougoslavie donc tu es Yougoslave).

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La complexité de l’identité est particulièrement réelle dans certaines régions du monde ayant vécu (ou vivant encore) des conflits armés. Prenons le cas du Liban, où 17 confessions religieuses cohabitent sur un même territoire. Dans ces circonstances, que signifie « être Libanais » ? La question de l’identité nationale est d’ailleurs au cœur de la plupart des guerres civiles. Pensons aussi à la Yougoslavie, au Rwanda ou en ce moment à l’Irak. Au Liban, cette même notion d’identité a été l’élément central des accords de Taëf mettant un terme à la guerre civile et elle est encore un sujet de négociations perpétuelles entre les différentes factions au pouvoir.  Mais si la religion ou l’origine ethnique est souvent le fondement de l’identité, la langue l’est aussi très souvent.

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Le même exemple aurait pu être pris avec le peuple catalan en Espagne. La langue catalane étant le vecteur de l’identité nationale, sa survie est assurée par ce fort sentiment d’appartenance que le gouvernement de Franco avait tenté d’assimiler au cours des années 60. Le besoin d’identité est un facteur personnel très important que tous les habitants de la planète ressentent (Maslow,…). C’est ce facteur psychologique qui explique la raison pour laquelle, les immigrants se regroupent en ghettos dans leur nouveau pays d’accueil. Ce besoin de partager des valeurs communes (valeurs véhiculées par une vision du monde et donc par la langue) est présent à l’intérieur de chacun d’entre nous et est un élément favorisant la pérennité de certaines langues en danger.

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Pas d’identité sans égalité

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Les facteurs personnels et identitaires tout comme ceux liés à la mondialisation et aux politiques sont des facteurs pouvant servir à prévoir l’avenir de certaines langues minoritaires. Il est vrai que pour survivre une langue a besoin d’un contexte sociopolitique favorable dans lequel le respect de son unicité est à la base des politiques du gouvernement. Mais d’autres facteurs, moins facile à mesurer (mais pourtant aussi importants) peuvent expliquer les enjeux que vivent les communautés linguistiques isolées.

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À l’échelle mondial, on observe deux mouvements en apparence contraire : le premier veut tisser des liens, créer des associations, des partenariats, nouer des échanges et se renforcer. Le deuxième voit émerger une conscience de sa propre identité nationale face à la montée des valeurs transportées par la mondialisation. Il est important que les politiques des états (unilingues ou plurilingues) favorisent le respect des identités linguistiques avec comme valeur fondatrice, l’égalité de tous les citoyens du pays. Sans cette valeur à la base des lois et de la politique d’un gouvernement pour son propre territoire, toute langue minoritaire est vouée à être assimilée par celle de la majorité.

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Le problème de la disparition de certaines langues est donc une réalité pour  celles ne possédant qu’une tradition orale et dont le nombre de locuteurs est si petit qu’elles ne pourront jamais attirés l’intérêt général de la communauté internationale. Pensons aux nombreuses langues de Sibérie comme l’Aléoutiens (40 locuteurs), le Kerek (3 locuteurs), l’Orok (60 locuteurs) ou les langues d’Afrique comme le Ahlo ou le Logba qui sont en voie de disparition.

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Plurilinguisme affirmé et valorisé

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Même si la réalité en ce qui concerne l’avenir de langues plus régionales dépend de facteurs très complexes et parfois imprévisibles, il est réaliste de croire que  l’avènement de la mondialisation peut avoir certains effets bénéfiques pour certaines langues et d’autres plus négatifs pour les autres.

Pour favoriser la survie et l’épanouissement des langues dans le monde, il est essentiel que les divers gouvernements, sous l’égide d’un organisme doté de mécanismes légaux, se prononcent haut et fort pour affirmer et valoriser le plurilinguisme. Le principe d’égalité doit absolument être à la base de toutes les politiques gouvernementales en particulier dans les régions du monde à forte densité de peuples linguistiquement différents. La promotion d’identités régionales n’empêche en rien l’avènement d’une deuxième identité pan-nationale. De la même façon qu’un Québécois est fier de sa langue, il sent aussi cette fierté d’être « Canadien » lorsqu’il voyage sur d’autres continents. Rien n’empêche qu’un Tibétain de par sa langue, sa culture et sa religion se dise aussi Chinois. Car si sa langue et sa religion sont différentes, il peut partager des valeurs communes avec l’ensemble des habitants de ce vaste territoire.

Chose certaine, toute communauté linguistique doit absolument se doter de politiques et de lois claires concernant le développement et l’utilisation de sa langue nationale. Sans ces politiques, il est raisonnable de croire que les petites communautés linguistiques seront ensevelies sous l’influence des langues dont le poids économique attirera les nouvelles générations. 

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Mais tant que les gouvernements nationaux percevront dans la différence culturelle, une menace à leur intégrité et à leur existence, ces politiques seront difficiles à mener. Il devient donc primordial que des modèles de prise en charge du plurilinguisme soient développés et étudiés afin de sauvegarder la richesse extraordinaire du patrimoine linguistique de la planète.

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Ces exemples de sociétés plurilingues existent et les pays où cohabitent de nombreuses entités autonomes peuvent s’inspirer de ces modèles dans la recherche d’un équilibre, élément indispensable à la survie de l’héritage linguistique mondial.

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Mais le réel progrès se fera lorsque les mots identité et égalité ne s’opposeront plus, mais réussiront à unir leur discours.

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